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Les Ecrits Pourpres
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20 juillet 2005

Baiser d'Enfer ... Baiser d'Amour

Tant de jours sans écrire… même pas le temps de griffonner quelques mots sur mon vieux carnet.

Alors là, bien sûr, envie, envie, envie, quasi obsessionnelle d’écrire en tous sens les mots trop longtemps retenus. Un blanc-seing de Lui (Hummm, Lui sur mon sein blanc…noooon, pas de digression, non !!) ; ici, je peux poser tout ce qui me passe par la tête, dans le corps, mes ors et mes pourpres.

Ce qui nous assemble. Ce qui nous ressemble. Il y a peu (il y a loin !), mon amour de D. disait son indéfectible passion pour Rodin en choisissant « Le Baiser ». Cet émoi, pour cette sculpture si charnelle, à la fois chaste et sensuelle, puissante et vivante, je le partage avec Lui. Aussi parce qu’elle fait en moi un écho littéraire et éveille de très beaux souvenirs que je croyais enfuis.

Aaaaah ! Voilà qui va décevoir nos lecteurs empourprés : une note presque trop pudique ! Alors je vais l’anti-dater, la cacher en quelque sorte. La trouverons ceux qui veulent lire. Ainsi soit-Elle ! ;-)

temptation___1_

Cette sculpture de Rodin, si elle m’émeut tant, c’est qu’elle fut un des premiers projets qui devait illustrer « La Porte de L’Enfer » inspirée de l’œuvre de Dante (Et l’Enfer… ! Ah L’Enfer !!!). Elle est l’évocation de l’histoire de Paolo et Francesca, un simple fait divers qui s’est produit au 13ème siècle. Elle, a été mariée à Gianciotto Malatesta, un homme brut, inculte et laid. Lui, était le frère de Malatesta. L’Amour toucha les deux beaux jeunes gens, alors qu’ensemble, ils lisaient des romans courtois. Ils échangèrent un baiser. Et l’horreur arriva ... Malatesta les surprit et ce fût la Mort qui frappa !
Dante reprend cette histoire dans son voyage dans les enfers .Il les reconnaît parmi les Luxurieux où, malgré la terrible tempête, les amoureux adultères demeurent étroitement unis, mêlés, liés à jamais. Deux coeurs en enfer...

« Amor, ch’al cor gentil ratto s’apprende,
prese costui de la bella personna
che mi fu tolta ; e ‘l modo ancor m’offende
Amor, ch’a nullo amato amar perdona,
mi prese del costui piacer si forte,
che, come vedi, ancor non m’abbandona. »

« Amour, qui s’apprend vite au coeur gentil,
prit celui-ci de la belle personne
que j’étais ; et la manière me touche encore
Amour,qui force tout être aimé à aimer en retour,
me prit si fort de la douleur de celui-ci
que, comme tu vois,il ne me laisse pas. »

Dante Alighieri, Divine Comédie,chant V ,100-105

Dante admire et envie ces amants maudits que sont Paolo et Francesca, condamnés à tourbillonner sans fin dans les vents brûlants de l’Enfer. Parce qu’ils se sont aimés d’un amour réciproque. Et que tel ne fut pas le cas pour Dante et Béatrice.

J’aime l’œuvre de Dante. Il y a plus de 20 ans, dans le décor somptueux du Cirque de Gavarnie, j’en ai vu une représentation si puissante, qu’elle m’est revenue en mémoire, d’un coup, intacte, tant le site naturel se prêtait au récit, aux délires des corps, aux hymnes des Enfers et à la révélation finale !

J’aime ce chant de Paolo et Francesca, cette évocation de l’Amour, au-delà de la Mort, survivant même à l’Enfer…l’Amour au-delà de la douleur, l’Amour au-delà de tout !

Et j’aime l’interprétation qu’en a donnée Rodin (les interprétations, devrais-je dire !), lui qui connut aussi cet élan irrésistible … et qui choisit d’y résister !

Je l’aime aussi parce qu’elle hante l’œuvre d’un auteur espagnol que j’adore, Borges, et qu’il en fait une lecture qui va bien plus loin que mon ressenti initial («Neuf essais sur Dante»)

555Dejan caer el libro, porque ya saben
555que son las personas del libro.
555( Lo serán de otro, el máximo,
555pero eso qué puede importarles.)
555Ahora son Paolo y Francesca
555No dos amigos que comparten
555El sabor de una fábula
555Se miran con incrédula maravilla
555Las manos no se tocan
10 Han descubieto el único tesoro
555Han encontrado al otro
555No traicionan a Malatesta,
555Porque la traición requiere un tercero
555Y sólo existen ellos dos en el mundo.

[Trad. : Ils laissent de côté le livre, car ils savent/ qu’ils sont les personnages du livre./ (Ils le seront d’un autre, le plus grand/ mais ils ne s’en soucient guère.)/ Ils sont maintenant Paolo et Francesca/ et non deux amis qui partagent/ la saveur d’une fable./ Ils se regardent émerveillés, sans le croire./ Leurs mains ne se touchent pas./ Ils ont trouvé l’unique trésor/ Ils ont découvert l’autre./ Ils ne trahissent pas Malatesta,/ Puisque la trahison réclame un tiers/ et qu’il n’existe qu’eux deux au monde].

Chez Borges, tout est lumière ; l’épisode des deux amants est délivré de tout fardeau moral. Péché, Pitié, Tourmente infernale n’apparaissent pas. Une seule allusion au malheur, dérivant de cet amour inavouable, y est contenue : le nom de Malatesta, mais, aussitôt écarté.

Seul demeure la pureté de l’Amour absolu : la révélation. Et c’est par le biais du livre, de l’écrit, que s’obtient cette révélation. L’écriture comme catalyseur !

Comment ne pas y voir un écho avec l’amour qui me fut donné et qui naquit dans les mots d’abord, cet élément qui se maintient, de Dante à Borges : le livre, fil conducteur et, mieux encore, le poème ! Et Borges insiste, peu après, en évoquant Adam et Eve, le premier couple de pécheurs : 

15 Son Paolo y Francesca
15 Y también la reina y su amante
15 Y todos los amantes que han sido
15 Desde aquel Adán y Eva
15 En el pasto del Paraíso.
20 Un libro, un sueño les revela
15 Que son formas de un sueño que fue soñado
15 En Tierras de Bretaña
15 Otro libro hará que los hombres,
15 Sueños también los sueñen 

[Trad. : Ils sont Paolo et Francesca/ et puis la reine aussi et son amant/ et tous les amants qui ont vécu/ depuis le premier Adam et son Eve/ dans la pâture du Paradis./ Un livre, un rêve leur révèle/ qu’ils sont les formes d’un rêve qui fut rêvé/ en terres de Bretagne./ Un autre livre accordera aux hommes,/ Rêves aussi, de les rêver].

Cet empilement de rêves, cet emboîtement de lectures, dans cette fin de poème, elle trouve son prolongement en Nous, dans notre amour qui a balayé les obstacles, le temps et l’espace, les conventions !

Paolo et Francesca dérivent d’un rêve que d’autres ont rêvé, et dont d’autres rêverons à partir d’eux, c’est NOTRE rêve aussi !

Une seule lignée, une seule histoire, qui se transmet de génération en génération sans pourtant être jamais la même, une histoire unique et universelle : l’Amour !

Et c’est à Rodin que je dois cette merveilleuse plongée dans tant de souvenirs… et la réminiscence de nos baisers, plus brûlant que les feux de l’Enfer, cette morsure d’Amour qui est douleur et qui est lumière !

paolo_et_francesca_mus_e_rodin

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