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Les Ecrits Pourpres
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18 octobre 2005

PhOtO-graf de charme

Elle a sonné et s’est engouffrée dans le studio, à peine la porte s’est-elle ouverte.

C’est tout juste s’il a eu le temps de lire sa silhouette quand elle est passée devant lui, l’enveloppant, un instant dans les fragrances d’un parfum poudré.

Elle a jeté un sac de voyage à terre et, légèrement penchée au dessus, elle fouille pour en tirer des vêtements. Ses mèches sombres dévorent son visage, masquant ses expressions Elle ne relève pas la tête, toute à son occupation, et il l’observe, détaillant les formes que dévoile le manteau de cuir vert bouteille, la ligne des jambes entre les bottes noires et la petite jupe de toile bâchée kaki.

Elle ne le regarde pas mais elle lui parle. Un flot de paroles, un peu haletantes.

« Bonjour. C’est moi qui vous ai téléphoné pour la série de photos. J’ai apporté de quoi me changer. Je n’ai pas beaucoup de temps alors je voudrais que nous commencions très vite. Où puis-je me changer ? »

Il lui indique calmement le petit paravent chinois qui tient l’angle de la pièce. Sur un bref remerciement, où elle a à peine relevé la tête lui permettant de croiser un éclair dans ses yeux sombres, elle se dirige vers la fragile palissade de tissu tendu, son petit trésor de chiffon serré contre elle. Il y a quelque chose d’étrange chez cette fille pense-t-il. Déterminée et paniquée à la fois. Ce ne sera pas facile.

Derrière le paravent, elle fait glisser ses vêtements un à un et elle les dépose, bien rangés sur la chaise. Elle respire profondément, à chaque geste qu’elle fait durer, pour calmer sa nervosité. Elle a froid, ainsi dévêtue, et elle ne regrette pas d’avoir choisi ces vêtements là pour les premières photos. Il pourrait mieux chauffer son studio, tout de même se dit-elle en frissonnant et en tentant de refermer deux minuscules boutons de nacre de ses doigts fébriles.

Lui, il trouve qu’elle met du temps, beaucoup de temps à se préparer, pour quelqu’un de si pressé.

Il a le temps de vérifier soigneusement ses appareils, un numérique et un argentique. Il aime toujours autant travailler le tirage de ses photos. Choisir la sensibilité du papier, le grain final du portrait.

Il est en train de régler son appareil sur le pied quand un froissement de tissu attire son attention. Enfin, elle sort de son abri !

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Il est surpris par la vision de ses jambes, gainées de bas blancs dont les bords de dentelles sont surmonté d’une blouse légère, à peine retenu par deux minuscule bouton à hauteur du ventre, un voile de coton immaculé qui laisse transparaître de petits seins érectiles. Et au-dessus, son visage, cerclé de  sombres mèches folles, tendu vers lui, deux yeux brillants, anxieux, interrogatifs.

« Je me mets où ? »

De la main, il lui désigne l’emplacement, devant le rideau ocre, entre les deux projecteurs.

Elle s’y place rapidement, sur la pointe des pieds, comme si elle marchait sur des braises.

Il sent sa tension. Son anxiété est quasi palpable. Oui, il en est sûr maintenant, ça va vraiment être difficile.

Elle est là, debout, nerveuse. Elle ne sait pas quoi faire de ses mains, attrape une mèche de cheveux et la tortille machinalement. Elle a baissé la tête à nouveau.

« Détendez-vous, lui dit-il dans un sourire rassurant, mon appareil n’a jamais dévoré personne. C’est la première fois ? »

« Comme ça, oui… je veux dire… dans un studio… »

« Je vais mettre un peu de musique, vous voulez ? »

Elle vient enfin de relever son visage à nouveau et elle le regarde avec un vrai sourire dans les yeux, en acquiescant. Il aimerait capter cette lumière là, si fugitive, pense-t-il en se dirigeant vers la chaîne.

La musique s’élève… les premières notes de « In the mood for love ». Elle écoute. Elle ne pense plus qu’à cette musique sensuelle et nostalgique. Elle se laisse glisser au sol, jambes repliées.

« Bougez… Ne vous occupez pas de moi. »

Et il voit la magie de la musique opérer.

Son corps bouge lentement, glisse sur le sol, se déploie. La blouse dans ses mouvements libère la rondeur d’une épaule, l’aperçu de la courbe d’un sein, un ombre entre le compas des jambes qui s’ouvrent dans l’air un instant, puis se replient. Elle est au sol, mobile, changeante, de dos ou bien de face.

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Il capte les morceaux de peau entre le blanc, le creux de la hanche, la rondeur d’une fesse. Ce corps qui se cambre en glissant sur le sol, ondule, tourne sur lui-même.

Elle suit les mouvements de la musique. De temps en temps, elle perçoit le bruit du déclencheur et il la sent se figer un peu. Mais la musique est la plus forte. La blouse a glissé à terre sans qu’elle fasse d’effort, emportée par une esquisse de geste. Elle est à genoux, les mains posées au sol entre ses cuisses ouvertes, le haut du corps tendu vers lui et la tête inclinée vers son épaule. Ses cheveux mangent encore son visage. Comme si elle voulait cacher la courbe gourmande de ses lèvres, le trouble ou l’affolement de son regard. Elle a cessé de bouger avant que la musique ne s’achève. Elle se lève.

« Je vais me changer. » Son ton est froid. Impersonnel. Sans aucune émotion. Seul son souffle est juste un peu plus saccadé que la normale.

Elle farfouille dans son sac. Il ne cesse de la mitrailler sans qu’elle s’en aperçoive, volant des poses qu’elle ne lui a pas offertes, captant la sensualité de son corps dans un geste quotidien. Et puis elle semble indécise et tire son sac avec elle jusque derrière le paravent.

Elle l’a étonné, il en convient. Même sur la réserve, avec cette volonté de cacher son visage, elle s’est suffisamment libérée sur la musique pour qu’il ait pu capter autre chose qu’un simple corps nu.

Il se demande dans quelle tenue elle va bien pouvoir réapparaître.

Il a envie de la surprendre, lui aussi de la pousser plus loin. Il dirige les projecteurs vers le lit rond aux draps de satin pourpre et change la musique. Gotham Project en pause, en attente de son retour. On va bien voir se dit-il.

Elle est toujours derrière le paravent et ne sait que choisir. Elle a emmené beaucoup trop d’affaires parce qu’elle n’arrivait pas à faire un choix chez elle. Mais ici, c’est pire encore ! Ses mains se posent sur un morceau de tissu, le soulèvent, le reposent.

Et puis son choix s’impose soudain à elle. Oui ce sera ça ! Et ce sera la dernière série. Il faut qu’elle le lui dise !

Il est encore devant la chaîne quand il entend le claquement des talons sur le dallage du studio. Il appuie sur la touche « play » avant de se retourner et reste interdit. La musique joue en sourdine. Et c’est comme si elle avait su quel décor il lui réservait.

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Elle se tient debout devant le paravent, les cuisses gainées de bas résilles noirs, des chaussures à talons, trois brides qui enserre ses chevilles comme des bracelets.

Elle porte un soutien-gorge pigeonnant noir orné d’un liseré rose et un porte-jarretelles large assorti qui couvre ses fesses sous un mince volant. Autour de son cou un fin collier de cuir.

« Ce sera la dernière série. Enonce-t-elle d’une voix légèrement voilée, un peu rauque. Je me mets où ? »

Il lui montre le lit. Elle fait deux pas, semble hésiter, réfléchir. Puis elle grimpe sur le lit, en lui tournant le dos. A quatre pattes, dos cambré. Et elle le regarde par-dessus son épaule intensément.

D’une voix étrangement basse, elle demande

« Je veux que votre appareil me fasse l’amour. Je veux qu’il touche mon corps, qu’il l’ouvre, qu’il le révèle… comme le ferait votre main si je l’y invitais. »

Et elle secoue la tête et se met à bouger lentement, très lentement sur le drap pourpre.

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Il a saisi son appareil et court autour de son corps. Une course lente. Une course à contre-courant du désir que ses mots ont fait naître en lui.

Il ne s’attendait pas à ça, pas avec elle, pas avec sa façon d’entrer.

oh_there_you_title__by_raphaelclass_1_1Mais là, ce corps qui roule dans les draps, qui s’ouvre, se tord, semble tanguer sous la caresse, ce corps brûle son objectif.

Il s’en éloigne pour reprendre possession de son œil, retrouver la bonne distance. L’objectif effleure le corps. Le zoom fouille les ombres.

Gros plan sur ses mains qui glisse sur ses seins, les libèrent de leur carcan de tissu, les frôle. Il se rapproche. Change la focale. Respire.

Revient plus près debout sur le lit au dessus du corps qui ploie, s’enroule et se déroule.

Attrape ses yeux qui se voile, cette bouche qui s’arrondit, s’ouvre sur un souffle, sur un son muet, ses doigts qui courent, masquent ou dévoile.

La musique vient de s’arrêter.

Elle est immobile. Presque nue. Son corps à demi recouvert par le drap pourpre. Une fine sueur perle sur son front, entre ses seins.

Ils sont haletants, tous deux. Fatigués.

Il n’y a plus de tension. Juste un grand relâchement silencieux.

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Elle se soulève sur un bras et lui sourit doucement.

« Je vais me rhabiller » souffle-t-elle

Il la regarde partir.

Incroyable séance !

Quand elle passe la porte pour sortir du studio, il lui promet les photos dans huit jours.

Quand elle passe la porte, il anticipe déjà les petits bonheurs du développement.

Quand elle passe la porte… elle a envie de chanter.

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Commentaires
C
(Le "hum", c'est quand je réfléchis. Mais par la force de l'habitude, je l'écris aussi.)<br /> <br /> Hum.<br /> <br /> Humhum.<br /> <br /> Joli texte. Une sorte de silicophilie, d'amour avec une machine et un regard métallique, non-organique. J'aime bien voir l'homme plus instrumentalisé qu'il ne peut réellement en profiter, le jeu d'amour se passant entre l'appareil -ou plutôt ce qu'il dégage et représente- et cette femme.<br /> <br /> Intéressant ^_^<br /> <br /> Amicalement,<br /> AJC
E
Merci e. pour cette oeillade d'e.-sthète ! Délicieuse saison que l'hiver qui permet bien des variations entre chaud et froid ... à immortaliser bien évidemment !<br /> <br /> A mon tour X-Addict d'être ravie d'avoir su révélée cet instant pour votre plaisir !<br /> <br /> J'aime beaucoup Méli, votre façon de scruter l'image pour faire surgir au premier plan les pudeurs d'une impudique. Un bien joli regard que le votre sur mon petit photogramme !
M
J'ai tout aimé. La fille. Plus que socialisée, timide, sauvage. Qui vient pourtant avec son envie et que le récit nous décrit si bien. Avec de tout petits détails qui laissent passer l'ambiance, qui nous la rendent si proche et le froid qui se réchauffe avec l'appréhension qui fiche le camp. Le photographe qui est juste un regard, et reste juste. J'ai eu un grand plaisir à lire cette histoire.
X
Ce texte me ravit ! <br /> La volupté de l'objectif et du modéle, sont capturés ds vos mots !
E
L'oeil en spirale, le zoom est ému, cache mal son émotion, les pixels s'agitent et fouettent le modèle qui s'enroule dans le voile des draps...
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