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Les Ecrits Pourpres
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30 décembre 2005

1. L'Expédition

kamtchatkaphoto3

Le vent ne semblait pas décidé à se calmer de quelque façon que ce soit. L'air glacial soufflait à leurs oreilles dans un hurlement continu. Cela faisait six jours qu'ils avaient quitté la ville de Petropavlovsk, pour s'enfoncer dans la péninsule du Kamtchatka. Ils avaient rejoints Yelizova puis Malki et, depuis trois jours, ils s'enfonçaient dans les montagnes volcaniques qui formaient le coeur de la péninsule.

Le temps n'avait cessé de se dégrader, au fil des jours, et les liaisons satellites devenaient de plus en plus difficiles. Gimal, leur guide, était d'avis de changer de direction et de rejoindre au plus vite la petite ville de Pouchtino pour y attendre de meilleures conditions météo. Sofia ne pouvait se permettre le luxe d'attendre, son budget était des plus serré. Cette expédition devait être concluante ; si elle échouait, on lui couperait les crédits de manière définitive. Le directeur du Musée d'histoire naturelle serait trop heureux de la tenir ainsi dans sa main. Ce gros porc, auquel elle avait toujours refusé de céder et qui ne manquait jamais une occasion de la mettre dans l'embarras !

Ils devaient continuer à avancer. Elle était sûre qu'ils approchaient du but. Pour l'instant, assise dans sa tente, au milieu de la nuit, elle étudiait les clichés satellites sur lesquels elle fondait ses hypothèses. Depuis l'ouverture de l'ancien bloc communiste à l'occident, ils avaient eu accès à une masse de données et d'informations sans pareille. Les terres inexplorées du Kamtchatka, 6000 habitants qui se partageaient un pays grand comme l'Espagne, des étendues vierges où la main de l'homme ne s'était que rarement posée. Les clichés qu'elle étudiait étaient des vues prises par des satellites météo. Rien que des choses très banales si ce n'était la bizarre répétition d'un phénomène météorologique étonnant. Une petite partie, située dans les massifs volcaniques, était encore et toujours, sur tous les clichés, recouverte d'épais nuages qui empêchaient toute prise de vue. Ce phénomène était étrange et Sofia en avait déduit que des conditions météo tout à fait exceptionnelles devaient régner en ces lieux, qu'il devait y exister une sorte de microclimat qui pouvait abriter une faune préservée et riche.

Peut-être se trouvait-il, en cet endroit, un véritable trésor naturel qui attendait d'être découvert ?! Elle scrutait les données lorsque sa tente s'entrouvrit. Gimal pénétra dans la petite tente et s'assit en face d'elle.

"Les hommes ne veulent pas continuer, ils disent que cet endroit n'est pas bon pour les hommes, que c'est la terre des fantômes."

Sofia le regarda avec sympathie. Elle connaissait le caractère superstitieux des hommes de la Toundra, ces Itlelmens qui avaient vécu si longtemps loin de toute civilisation, et elle respectait infiniment leurs croyances. Cependant, elle devait les faire plier. Il fallait qu'ils poursuivent, elle n'avait pas le choix.

"Gimal, dis aux hommes que nous ne sommes pas des profanateurs. Que nous venons sur cette Terre inconnue pour rendre hommage aux choses qui sont encore ignorées, pour donner le témoignage respectueux de la civilisation aux pouvoirs les plus anciens de la Terre. Dis-leur que les fantômes nous accueilleront si nous venons le coeur ouvert. Et dis-leur bien que mon coeur est ouvert et chante la gloire de ce pays de blancheur et de feu. Vas Gimal, vas leur dire que je crois en leur coeur d'hommes fiers !" et elle lui désigna la sortie et se repencha immédiatement sur ses clichés et sur les cartes amoncelées autour d'elle. Maintenant, il lui fallait décider d'un itinéraire, et très vite ! Elle prendrait quelques heures de sommeil ensuite, mais une chose était certaine : elle n’avait pas droit à l’erreur.

m_2Gimal haussa les épaules et sortit de la tente. Les paroles de la française étaient pleine de bon sens et de nobles pensées mais il connaissait ces hommes et les légendes qui se racontaient sur ces terres sauvages. Il ferait tout de même de son mieux.

Il fit de son mieux et parla longuement aux porteurs avant d'aller se coucher totalement éreinté.

Le lendemain, il fut surpris de constater que plus de la moitié des tentes étaient encore là. Ils étaient encore assez nombreux pour continuer. Devant eux, se dressait l'imposant Kemakonov, le vieux volcan entouré de brumes, celui que les anciens appelaient le repaire des fantômes. Son père lui en avait parlé souvent. Il lui racontait que son propre père avait mené un groupe de militaires soviétiques en ces contrées, afin d'étudier la possibilité d'y installer une base secrète. Ils avaient renoncé, au bout de plusieurs jours, et seule la moitié des hommes de l'expédition en étaient revenus. A présent, il se considérait comme fou, fou à lier, de se jeter volontairement dans la gueule du monstre. Mais il était temps que les vieilles légendes deviennent ce qu'elles devaient être, des histoires que l'on se raconte au coin du feu et rien de plus. Ils avaient du matériel moderne à leur disposition, une technologie de pointe. Cette montagne allait devenir comme les autres sous peu, et le Kamtchatka aurait fait un pas de plus dans l'ère moderne.

Ils avancèrent encore deux jours durant, pour s'enfoncer dans une brume épaisse qui ne semblait jamais se lever. Ils marchaient en se fiant aux instruments qui les guidaient ; le GPS leur donnait le cap et, dans une progression lente et prudente, ils se dirigeaient vers les hautes murailles de pierre. Le soir du deuxième jour, ils étaient au pied d'une imposante barrière rocheuse. Il voyait difficilement comment trouver un passage dans la brume qui recouvrait tout. Il fit part de son inquiétude à Sofia, s'engager sur la muraille serait folie.

Elle écoutait les exhortations de Gimal, les yeux rivés sur ses cartes et sur les indications du GPS. Pourtant tout concordait. Il fallait franchir la muraille montagneuse. Il devait y avoir un passage, cela semblait évident. Elle invita Gimal à observer la carte et le GPS avec elle et, patiemment, commença à lui expliquer les informations qu'elle recueillait et comment elle en venait à la conclusion que l'unique voie possible se trouvait là, quelque part, dans cette barrière naturelle qui semblait pourtant si impénétrable. Elle donnait ses explications, non avec condescendance, mais comme elle l’aurait fait avec un collègue réfractaire. Depuis le départ, elle le considérait comme un compagnon d’aventure, un membre à part entière de son expédition si solitaire. Gimal l'écoutait avec attention mais semblait, cependant, plus que dubitatif. Il pointa son doigt vers le chaos de rocs qui leur fermait le passage et lâcha sur un ton rageur :

"Si ta machine dit qu'il y a un passage là dedans, montre-nous où mais fais vite ! Ici, le froid ne nous fera pas de cadeau et les fantômes se saisiront de nous si nous doutons. C'est ce que ne cesse de répéter les porteurs. Réfléchis bien !"

Sofia fixa longuement la barrière monumentale en frissonnant. Le mercure avait encore chuté et le vent semblait hurler de colère sur la crête des rocs. C'était folie ! Mais il y avait un passage. Elle en était sûre et son instinct ne l'avait jamais trahi. Elle avança vers les porteurs, droite et décidée, malgré le vent glacé qui mordait ses joues, et, les balayant du regard, elle leur parla en ces termes :

"Hommes de la Taïga, je suis venue vers vous pour apprendre et pour apprendre avec vous. Mais la voie de l'apprentissage est toujours douloureuse et souvent dangereuse. Aujourd'hui, nous allons ensemble affronter une grande peur et sans doute de grandes douleurs. Aujourd'hui, nous allons là haut - et elle pointa son doigt vers la barrière- car là est le passage qui mène à la connaissance" et, leur tournant le dos, sans plus prêter attention à leurs marmonnements affolés et désapprobateurs, elle chargea son sac sur son dos et se mit en route.

Les hommes se regardèrent. Cette femme se montrerait-elle plus courageuse qu'eux ? Ils chargèrent leurs ballotsro_61 sur leurs épaules et lui emboîtèrent le pas.

Ils longèrent, un long moment, les hautes murailles de pierre, assaillis par un vent glacial.

C’était comme un mur lisse, comme le pied d'une forteresse imprenable, même Sofia venait à douter du bien-fondé de sa théorie. Peut-être cette montagne était-elle vraiment inviolable après tout ?

Elle commençait à sérieusement envisager l'idée de faire demi tour lorsqu'ils trouvèrent le passage.

Ce n'était pas à proprement dit un passage. Devant eux, taillés dans la roche, se présentait une sorte d'escalier sommaire, des marches grossières, taillées à même le roc granitique, qui se perdaient dans la brume au-dessus d'eux. Si elles étaient sommaires nul doute n'était pourtant permis ; cette roche avait été taillée par la main de l'homme. Ce qui ne rassura en aucune façon le groupe des porteurs. Il y eut un long conciliabule et, finalement, une dizaine d'hommes seulement se décida à la suivre dans son ascension. Les autres resteraient au pied de la falaise pour les attendre. Ils entamèrent donc la montée, avançant péniblement, à quelques centimètres du vide. Rapidement, leur paysage se limita à la brume qui recouvrait tout autour d'eux. Ils avançaient avec difficulté. Le vent violent, le froid, la fatigue éprouvaient fortement le petit groupe. Ils commençaient à croire que jamais ils ne verraient le bout de ces marches lorsque l'ascension cessa. Ils atteignirent un petit surplomb rocheux, dominé par la masse imposante du volcan qui s'élevait encore, à présent totalement inaccessible. Dans la roche, devant eux, se découpait une ouverture, grande comme une porte de grange. Sofia et Gimal s'approchèrent de l'obscur boyau, allumant leurs lampes torche. Le fanal de lumière illumina la paroi, révélant de multiples motifs gravés à même la pierre. Une écriture étrange qui ressemblait à des runes peut-être. Sofia laissa glisser ses doigts sur les reliefs que formaient les lettres, lorsque Gimal saisit son bras et, braquant sa lampe vers le mur opposé, désigna une sorte de colonne qui courait le long du mur. Sofia frémit en constatant qu'il s'agissait d'un empilement de crânes humains. Gimal se tourna vers elle. "Ce sont les fantômes. Ils nous disent de ne pas aller plus loin."

catacombs1Sofia braqua longuement le faisceau de sa lampe sur l'empilement mortuaire, tentant de rassembler dans sa mémoire tout ce qu'elle savait des rites chamaniques, sans se laisser aller à la sensation de terreur primitive qui tentait d'envahir sa raison. Mais elle ne trouvait rien. Rien qui n'évoque de pareils rituels. Elle balaya encore le boyau et le halo puissant finit par saisir une forme gigantesque à caractère humain : un totem ! Elle le reconnut et énonça d'une voix claire, qu'elle voulut la plus apaisante possible :

"C'est Biliukae, le dieu de la foudre et du tonnerre, votre dieu protecteur ! Nous allons établir notre camp de base ici, à ses pieds, manger et dormir. Dormir et écouter nos rêves. Ainsi, demain, nous serons ce qu'il est bon de décider"

Elle entendait les hommes murmurer entre eux, mais elle savait aussi l'importance des rêves pour eux. Ils ne décideraient rien sans s’être nourris des rêves de la nuit. Et elle souhaitait de tout son coeur que cette nuit soit propice. Elle ouvrit son sac et commença son installation, se forçant à un grand calme apparent. Le couinement plaintif d’un chien la fit sursauter et elle sut immédiatement que les porteurs procédaient à un rituel de purification. Elle leva la tête dans leur direction. Ils étaient en train de dresser un pieu sur lequel ils érigeaient le cadavre du chien de traîneau qui faisait partie de l’expédition, sa tête tournée vers l’obscur boyau pour en conjurer les démons.

Ils s'installèrent peu à peu. Les hommes, refusant de planter leur tente dans la grotte, se regroupèrent, tant bien que mal, sur le promontoire rocheux. Ils dînèrent sans grand appétit avant d'aller se coucher. Le sommeil fut long à venir les prendre.

Dans l'obscurité du couloir, personne ne vit deux paires d’yeux verts luire un instant dans les ténèbres avant de s'éteindre. Des formes reculèrent dans le couloir de roches, suffisamment pour ne plus pouvoir être entendus par les intrus. Les deux formes sombres s'agenouillèrent sur la pierre froide.

"Ce sont des envahisseurs. Les anciens nous avaient prévenus, un jour ou l'autre ils viendraient. Ils ne doivent pas aller plus loin."

La deuxième forme s'appuya sur la lance qu'il tenait entre ses mains.

"Un des envahisseurs est une femelle."

Ils se turent, s'observant en silence, puis le premier reprit la parole.

"Oui, je sais, mais c'est dangereux, très, nous ne savons rien d'eux, ni du danger qu'ils peuvent représenter pour nous."

"Tu as raison Rak enga, fils d'Ok, mais si nous ne faisons rien nous allons disparaître à tout jamais." Les deux formes soupirèrent.

"Soit Ekna tok du clan Nka, nous allons demander conseil aux anciens et nous aviserons."

Les deux formes se levèrent et disparurent dans le couloir, avançant à grand pas dans l’obscurité totale.

Le lendemain matin, il y eut encore un conciliabule autour de Sofia et c'est accompagnée seulement de Gimal et de deux porteurs qu'elle avança dans la grotte. Ils avaient des vivres pour quatre jours, cela devrait suffire pour franchir ce passage espérait-elle, et, au moins, prouver au reste de l'expédition qu'il n'y avait rien ici de magique, juste les traces de l'ancienne civilisation qui avait existé dans ce pays. Une civilisation à ce jour inconnue ! Elle sentit l'excitation la gagner et pressa le pas. Ils avancèrent presque une journée pleine, dans les ténèbres, lorsque le regard aiguisé de Gimal repéra la sortie dans le lointain. Un infime point de lumière, mais le tunnel avait une fin ! Ils atteignirent le bout du tunnel deux heures plus tard. Sofia hésita un instant, à quelques mètres de la sortie. Elle s'agenouilla et fouilla dans son sac. Quelque chose la perturbait. Elle épongea son front, couvert de sueur, et, regardant ses doigts, elle comprit. Elle avait chaud, elle était en nage. Sortant son thermomètre de son étui, elle dut vérifier deux fois de suite avant de le tendre à Gimal. Il indiquait 20 degrés ; la température avait changé de presque trente cinq degrés lors de leur traversée ! Ils se regardèrent. Ceci expliquait les brumes, l'éternelle couverture nuageuse au-dessus de la montagne, la condensation. Ils marchèrent vers la sortie de la grotte et se figèrent la bouche grande ouverte. Devant eux, s'étalait une forêt entourée de hautes falaises qui se perdaient dans le lointain, de hauts conifères, des arbres majestueux qui se tendaient vers le ciel. Gimal pointa l'index vers la forêt devant eux. Elle vit de longues coulées de lave serpenter à travers le paysage, comme des rivières incandescentes. Tout le plateau devait se trouver sur une poche magmatique ce qui expliquait la chaleur. Gimal se tourna vers elle en souriant. "Eh bien, vous l'avez trouvé votre trésor Sofia, je vous félicite."

Elle lui sourit, ravie de sa réussite et heureuse qu'il lui rende un vouvoiement si respectueux

"Oui Gimal, je l'ai trouvé ma terra incognita et je vous rends une partie oubliée de votre monde. Regardez ! C'estiac08 incroyablement beau ! Cette végétation luxuriante ! Oh Gimal, Gimal ! Nous avons réussi ! Envoie vite un homme chercher les porteurs. Il me faut mes instruments. Il y a ici mille choses à vérifier. Vite ! Pour le moment nous ne pouvons pas faire grand chose."

Et voyant un des porteurs qui les avait suivi tendre la main vers un des fruits étranges qui pendait à un arbre proche, elle l'arrêta dans un cri

"Niet ! Non ! Je vous interdis de toucher à quoique ce soit, vous m'avez bien compris ? Pas de fruits, pas d'animaux. Nous organisons le camp ici même et vous ne vous éloignez sous aucun prétexte. Nous consommerons le restant de nos vivres pour l'instant. C'est plus sûr ! Donne des ordres précis Gimal !"

Il était hors de question que quiconque mette cet écosystème en danger par un comportement inconscient. Elle s'empressa de dérouler une corde sur un périmètre d'un vingtaine de mètre et, la déposant au sol, elle ajouta, en sortant son petit pistolet de l'étui de sa ceinture.

"Gimal ! Le premier qui franchit cette ligne goûtera de mon arme. Et je ne plaisante pas !" Son regard en disait long sur sa détermination

critiques_fma_alLes hommes s’entre regardèrent un instant puis reculèrent, s'éloignant prudemment de la ligne de démarcation que Sofia venait de tracer.  Gimal désigna un des hommes pour qu'il retourne au camp chercher les autres. Celui-ci acquiesça, d'un signe de tête, et fit demi-tour. Au moment où il allait s'engouffrer dans le passage, un sifflement fendit l'air et l'homme s'écroula au sol, dans un râle. Fiché dans sa nuque vibrait encore la flèche qui venait de l'emmener de vie à trépas. Gimal et l'autre porteur voulurent courir à son secours lorsque les formes surgirent des arbres. Hautes silhouettes aux formes massives et puissantes, couvertes d'armures aux teintes des arbres, ils s'étaient tenus parfaitement immobiles jusque là. Ils bondirent sur eux, vifs comme l'éclair. Gimal voulut saisir son poignard mais il fut soulevé comme un fétu de paille par un des assaillants et projeté avec violence contre la paroi rocheuse. Il s’écroula sans connaissance. Le second porteur se jeta à genoux au sol, en implorant les fantômes de l'épargner. Un des assaillants s'approcha de lui et sembla le détailler un instant, avant de sortir une longue épée de son fourreau et de l'enfoncer dans la poitrine de l'homme à genoux. Du pied il appuya sur le torse de l'homme et en retira la lame souillée puis il se tourna vers Sofia, s'avançant doucement vers elle, la longue lame, au bout de son bras, oscillant comme un serpent sur le point d'attaquer.

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Commentaires
E
Brrrr......
C
Cette mise en bouche est des plus délicieuse ... La suite, la suite ..... :-)
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