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Les Ecrits Pourpres
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29 janvier 2008

Lettre à la princesse des nuages,,,

Nuage___Le_blues_de_la_blogeuse

Il y avait dans son visage quelque chose qui me ressemblait.

Il y avait dans ces yeux clos comme une image des anges.

« Comme elle est belle, mon dieu comme elle est belle »

Ces mots étaient sortis de ma bouche dans un souffle, comme un chuchotement, peur de l’éveiller peut être. Elle dormait dans son berceau, immobile, les yeux clos. De petites mèches torsadées couvraient son front de volutes brunes. La digne fille de son père, petite tête frisottée allongée sur le ventre, reposant sur un coussin rose brodé de fils d’or. Elle dormait sous la couverture rose d’un sommeil que rien n’aurait su perturber, que rien ne saurait déranger. Sa petite main fermée en poing à hauteur de son visage posée sur ses lèvres pâles semblait vouloir saisir quelque chose, se rattraper à une improbable prise.

« Comme elle est belle. »

Etais-je encore capable de dire quoi que ce soit d’autre, d’énoncer d’autres paroles que celles-ci ? Il y avait pourtant des mots, des paroles qui se bousculaient dans ma gorge, des sanglots aussi. Debout devant le berceau, dans cette matinée illuminée de soleil, je regardais ma fille dormir. Les reflets de ce mois d’aout jouaient sur les rideaux blancs une série de motifs. Des ombres chinoises chimériques qui semblaient danser devant moi. Pourtant ce n’était que le leurre que projetait le feuillage des peupliers du parc. Ces ombres mouvantes semblaient animer le visage de la petite fille, peut être était elle en train de rêver de fée, de châteaux merveilleux, de palais des mille et une nuit.

Au dessus de ses yeux clos courraient des sourcils en arc de cercle finement dessinés comme pour souligner les iris bleus de ce regard limpide. Je relevais la tête comme pour prendre l’infirmière à témoin, la fixant de ce regard perdu que peuvent parfois avoir les hommes.

« Elle a les yeux bleus, j’en suis sûr. »

J’ai vu s’embuer les yeux de la jeune femme et ses doigts se crisper sur la feuille d’ordonnance qu’elle tenait dans la main. C’est étrange comme parfois les détails semblent limpides à ma mémoire, alors que je ne me souviens même pas de quoi était fait mon diner de la veille. Les yeux noisettes de cette inconnue se sont soudain embués et elle a baissée le regard en portant sa main à sa bouche. Je ne sais pourquoi, ce petit quelque chose d’humain, de compréhension, trouvé auprès de cette infirmière m’a longtemps réchauffé le cœur, plus que les marques de sympathies et les discours de mes proches.

Comment aurait-elle pu savoir ? Personne ne saurait vraiment quelle était la couleur des yeux de ma fille. Elle n’ouvrirait jamais les paupières pour voir le jour, elle ne verrait jamais le visage las et gris de son père qui l’observait. Derrière moi des sanglots, quelqu’un pleurait, je ne voulais pas me retourner. Je ne me sentais pas la force d’aider quelqu’un d’autre que moi à ce moment là. Toute mon énergie était mobilisée à ne pas perdre la raison. Toute ma volonté se réunissait en une seule idée, ne pas prendre ce petit corps et le secouer en la suppliant de respirer, d’arrêter cette farce cruelle. Ce n’était pas une farce, ce n’était pas un cauchemar, et pourtant c’était devenu le mien. Paisible et parfaite, elle dormait du sommeil que donne l’éternité, des mots résonnaient en moi. « mort subite du nourrisson in-utero » « autopsie, chercher la cause » Les images défilaient encore, je tentais de les repousser, mais trop de temps passé devant l’écran de ma télé devant des séries américaines me renvoyaient des images d’autopsie sanglantes. Je ne pleurais pas, j’étais au delà des larmes depuis longtemps, je ne ressentais qu’un immense vide, un néant qui semblait remplir tous les interstices de ma pensée. J’avais passée ma nuit à implorer, moi l’athée, j’ai imploré toutes les divinités de me prendre moi, moi qui ne valait que si peu et de laisser sa chance à ce petit être. En vain bien sur, j’étais encore vivant, pour peu que l’on puisse nommer cela être vivant.

Ce n’était pas un monstre, le docteur avait raison, je m’étais fait tellement d’images de cet enfant mort dans le ventre de mon épouse. Je la voyais comme une sorte de créature momifiée et difforme, ravagée par la putréfaction. Il avait fallut insister pour que j’accepte ce passage dans cette chambre isolée de la maternité où des infirmières aux yeux rougies avaient disposées son petit corps dans un berceau de verre. J’étais là debout devant elle, je ne l’ai pas touché, je n’ai pas pu, j’ai eu trop peur de ce contact glacé avec la mort. J’ai appris plus tard que les infirmières en la préparant l’avait un peu réchauffée dans leurs bras pour qu’elle ne soit pas glacée si je venais à la prendre dans mes bras... pourrais-je un jour assez les remercier pour tout ce qu’elles firent pour nous ces jours là.

Mais je ne pouvais la toucher, je ne pouvais pas, je me contentais de la regarder debout devant son berceau. C’est alors que j’ai compris que quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, un fossé venait de se creuser entre le reste du monde et moi. J’avais passé le seuil d’une douleur qui me rendait les autres étrangers, qui mettait entre eux et moi cette infime distance. Longtemps je n’ai pas pu franchir cette barrière, longtemps elle est restée entre moi et toute personne qui m’approchait.

Il a fallu des années, pour que je puisse seulement envisager d’être heureux. Il y avait ce manteau de pluie qui m’entourait en continue, cette grisaille permanente. Le temps était au brouillard dans mon existence. Une musique, une chanson, un visage d’enfants et je sentais soudain cette chape de plomb peser sur moi comme un étau qui se refermait sur mon cœur.

Le temps est un assassin mais c’est aussi un guérisseur parfois. J’ai connu la joie de porter de nouvelles vies dans mes bras, de sentir leurs baisers chauds et plein d’amour sur mes joues. J’estime ce bonheur à sa juste mesure et bien plus que beaucoup d’autres pour qui le baiser plein de confiance d’un enfant ne semble pas avoir de valeur. J’ai retrouvé le bonheur et la joie, la grisaille a quitté mon existence remplacée par de nouvelles lumières. J’ai fini par accepter de laisser s’envoler le petit ange, de la laisser me quitter pour de bon et lorsque ma deuxième fille me parle de sa sœur au ciel je peux lui répondre sans avoir le cœur étreint et les larmes aux yeux.

Pourquoi est-ce que je vous parle de cela aujourd’hui ? Parce que le ciel à une couleur vanille peut être et que ces mots dormaient en moi depuis longtemps, comme une lettre d’adieu à ma petite princesse des nuages. Je me souviens des mots de ce diacre, moi accueillir un homme d’église dans ma demeure, mais de cet homme, tellement humain et profondément animé du désir d’aider les autres je garde cette phrase.

« Vous serez guérie quand vous pourrez dire merci…. »

Je ne l’ai pas compris, il a fallu du temps, mais tout arrive. Merci pour ces deux princesses qui jouent et s’amusent devant mes yeux, pour cet amour trouvé là où je ne l’attendais pas et qui illumine mon quotidien de sa présence. Merci aussi pour ces quelques mois où la princesse des nuages a vécu dans mes projets et dans mes joies. Je t’envoie des baisers petite fille endormie, fais de doux rêves... je retourne au présent et au futur, aux joies qui s’annoncent et que j’accueille les bras ouverts.

Mais il restera toujours au fond de moi le souvenir de cette petite fille parfaite, endormie à jamais, je t’aime,,,, .

Ton père.

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Commentaires
L
Nous avons vécu ce drame vendredi. Deux petits anges sont nés, beaucoup trop tôt. Le temps d'un souffle, et ils s'en sont partis rejoindre votre princesse des nuages. Comme nous aimerions décharger les parents de la perte inhumaine qu'ils ont subie, mais nous ne pouvons rien, sauf être là. J'espère que, comme vous, ils trouveront la paix, tout en gardant au fond d'eux, le souvenir et l'amour de ces deux petits.
K
Je passe souvent ici, à vrai dire chaque soir. Je passe souvent oui mais sans rien dire parce que c'est ma façon de vous aimer, au-delà des mots.<br /> Je vous embrasse gros
A
Sandra. C'était le nom de la mienne. Ma fille. <br /> Qu'elles reposent ensemble. Et qui sait...
N
Tous les mots me semblent infiniment petits face à vous aujourd'hui ..
J
Comme la vie est cruelle parfois..... je me retire sur la pointe des pieds bouleversée.
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