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Les Ecrits Pourpres
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29 août 2007

Fugue temporelle,,,,

chronometre_f280Le temps est joueur, n’en doutez pas, le temps est une espèce de compte à rebours psychotique. C’est ce chronomètre, qui ne reste jamais à la place qu’on aimerait lui voir prendre, qui est agaçant. Regardez le filer au gré de son envie, comme si son aiguille était soudain prise d’une sorte de folie. Alors les heures s’égrènent et passent tout en se dévorant elles-même.

Vous aurez beau souffler, gémir, implorer, il restera sourd à toute forme d’imprécation. Seulement viendra le moment où il ralentira et, ce moment, c’est justement le temps que vous aimeriez voir filer à toute allure. Le temps est une salope, je l’ai déjà dit il me semble, eh bien je le répète encore une fois quitte à paraître radoteur.

De toute façon le radotage est une tare familiale; je me rappelle les sorties en voiture du dimanche, les enfants à l’arrière, les parents à l’avant. Direction le Haut-Koenigsbourg ou l’Europa Park. Mon père prenait invariablement le même chemin qui, s’il n’était pas le plus court (loin de là,  était celui qu’il connaissait le mieux. Ainsi nous avions droit à la longue énumération des sites ou il avait travaillé, de tous ces chantiers qu’il avait menés de sa main de maître (de chantier)…. Cahoté, brinqueballé, à l’arrière de la 504 sur cette mauvaise route, mon petit frère et moi écoutions religieusement notre père, tandis que ma mère semblait occupée à compter les usines qui défilaient. Il racontait inlassablement les mêmes histoires, au même moment, au même endroit sur le trajet.

-          Ici on a dû faire une tranchée de 400 mètres pour poser des tuyaux de 100

-          Là on a fait un lit filtrant,

-          Il a fallu quatre pelleteuses pendant pràs de deux semaines pour faire le terrassement

-          le long de la route, sur toute la distance entre  le pont et la centrale. on a posé des drainages

Moi, je ne savais pas ce que pouvait bien être un lit filtrant, pas plus que je n’avais la moindre notion en 504terrassement. J’imaginais un monstre quelconque que l’on mettait à bas à grands coups de pelleteuses, un lit ou dormait une princesse, mais un lit filtrant qui ne laissait passer que les plus téméraires et méritants des princes.  La radio diffusait une émission quelconque, attrapée sur les stations allemandes, où des jeunes femmes qu’on imaginait en tenue traditionnelle, chantaient l’amour, les petits oiseaux, et les belles forêts du Heimatland. Ce qui au début prenait des allures de voyage initiatique s’était révélé au fil des années une torture. La route devenait chaque année plus mauvaises, les tressautements plus insupportables, la 504 un peu plus fatiguée. A présent, nous savions ce qu’était un terrassement, une viabilisation, un drainage et la magie avait quelque peu foutue le camps. Notre père lui, infatigable, égrenait voyage après voyage ces souvenirs et nous ne l’écoutions plus que d’une oreille distraite. Parfois même un impudent osait suggérer que nous pourrions prendre la route du vignoble, voire même l’autoroute allemande qui, outre le fait d’être gratuite, réduisait sensiblement la durée du trajet. Mais rien n’y faisait ; totalement inflexible mon père prenait encore et toujours la même route. 

Puis vint le jour où nous ne partîmes plus ensemble. La vieille 504 avait fini entre les mains d’un gitan et mon père conduisait la Mercedes dont il avait toujours rêvé. Nous avions à présent nos sorties, nos amis, les premiers flirts un peu poussés. Mon frère ainé avait une voiture, le plus petit une 103 SP et moi je faisais du pote-stop. S’en était fini des sorties familiales, qui déjà bien rares devinrent inexistantes. Mon père se rendait invariablement au foot, nous nous retrouvions entre amis de notre âge et ma mère attendait que viennent les premiers petits enfants.

300dLe temps a passé depuis, il s’est écoulé de l’eau sous tous les ponts, il en est tombé plus encore des yeux rougis. La Mercedes de mon père est quelque part, recyclée en dieu seul sait quoi, la 504 parcourt peut être encore des chemins lointains, allez savoir. Mon frère ne se souvient plus de sa première voiture, et moi j’ai oublié les noms de mes potes. A présent je conduis une voiture à mon tour, et derriere moi les voix fluettes de deux petites princesses m’interrogent.

-          Dis pap, les licornes ca existe encore ?

Je me trouve sur le point de répondre que non, les licornes ne sont que des légendes, leur expliquer que ce qu’on faisait passer pour des cornes de licornes étaient des cornes de Narval. C’est là que ma douce a coupé mon élan, répondant aux petites que l’on n’avait plus vu de licorne depuis bien longtemps et qu’elles devaient se cacher profondément dans les forêts. Je me suis souvenu alors qu’il fut un temps où je croyais que des pelleteuses terrassaient des dragons et que des princesses dormaient dans des lits magiques. Qu’il y avait eu un temps où les cahots de la 504 me semblaient être une berceuse et la voix de mon père celle d’un conteur de légendes. Qu’il y avait le temps de l’enfance, des légendes, des contes, des monstres gentils, où les méchants étaient toujours punis.

Je me suis dit au final que les filles avaient bien raison, que les licornes devaient bien se cacher, sùrement tout a coté des dragons qui évitaient à présent soigneusement les pelleteuses. 

Puisque le temps est une salope pour qui le connaît, inutile de le présenter trop tôt à ceux qui n’en ont pas la notion ni l’utilité après tout.

licorne_bleue

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Commentaires
L
a ajouter billeversée,,, merci...
B
Même 504, autre version du père, j'abomine toujours autant le petit pois qui vient squatté mon matelas, et je déteste l'idée que c'est sûrement la dernière année où je vais mettre des carottes et du maïs dehors pour saint Nicolas et où j'irai posté des lettres pour le 25 décembre . Prendre le merveilleux pour le naturel est une chose irremplaçable
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